May 24, 2021

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Par Wing-Chung CHANG

 

 

Les symptômes négatifs de la psychose ne sont pas suffisamment étudiés et reçoivent souvent moins d’attention que les symptômes positifs. Cependant, ils sont d’une importance cruciale pour le rétablissement fonctionnel et ne devraient pas être négligés par les services d’intervention précoce.

 

Que sont les symptômes négatifs ?

Bien que les symptômes négatifs soient une caractéristique essentielle de la schizophrénie et d’autres maladies psychotiques, ils sont souvent très négligés. De manière générale, les symptômes négatifs font référence à la perte ou à la diminution des fonctions normales liées à la motivation et à l’expression émotionnelle. Cela comprend des symptômes telles qu’une réduction des interactions sociales, une perte de la motivation, une diminution de la prise de parole et une perte du plaisir à l’égard des intérêts manifestés antérieurement.

Les symptômes négatifs sont une dimension distincte des symptômes, séparée des symptômes positifs (c.-à-d. les hallucinations et les délires), de la désorganisation, des symptômes de l’humeur et des troubles cognitifs. Cependant,peu de progrès ont été faits dans la compréhension des mécanismes neurobiologiques qui sont à la base des symptômes négatifs, et donc des avancées très limitées dans le développement d’un traitement efficace. Néanmoins, on remarque un certain gain d’intérêt pour l’étude des symptômes négatifs et un consensus a été récemment atteint sur la conceptualisation des symptômes négatifs comme étant constitués de cinq éléments.  Ces cinq éléments ou domaines sont l’apathie, l’asocialité, l’anhédonie, l’émoussement affectif et l’alogie.1

Bien que l’on n’y prête souvent moins d’attention qu’aux symptômes positifs, les symptômes négatifs sont en fait très fréquents au début des troubles psychotiques, et ils font partie des symptômes les plus fréquemment observés dans la phase prodromique (c’est-à-dire les symptômes ressentis durant la période précédant un premier épisode psychotique). Il est important de souligner que les symptômes négatifs sont souvent associés à un mauvais fonctionnement psychosocial, une probabilité accrue de chômage et une charge plus lourde pour les proches des personnes atteintes de psychose précoce.

Deux approches principales ont été retenues pour classer les symptômes négatifs pour la recherche clinique et de la prise en charge. Celles-ci sont, (1) de faire la distinction entre les symptômes négatifs primaires et secondaires2 et (2) de diviser les cinq domaines de symptômes en deux sous-domaines : diminution de la motivation et de l’intérêt (l’« amotivation »), comprenant l’apathie, l’asocialité et l’anhédonie ; et diminution de l’expressivité émotionnelle (« diminution des sentiments »), comprenant l’affect émoussé et l’alogie.1

 

Pourquoi sont-ils importants ?

Les symptômes négatifs primaires (SNP) sont considérés comme intrinsèques au processus pathologique du trouble psychotique, tandis que les symptômes négatifs secondaires proviennent d’éléments concomitants, comme la dépression, la méfiance paranoïaque, les effets secondaires moteurs induits par les antipsychotiques et l’isolement. Les SNP persistant prédisent de manière certaine une déficience fonctionnelle concomitante et durable chez les personnes atteintes de psychose précoce.

L’amotivation s’est avérée beaucoup plus répandue lors des premiers stades de la maladie, et elle est un indicateur prédictif plus fiable d’une incapacité fonctionnelle plutôt que la diminution de l’expressivité émotionnelle. L’amotivation peut être un déterminant crucial de l’évolution fonctionnelle dans la psychose débutante, son impact étant plus important que celui des déficits cognitifs ou des autres dimensions symptomatiques.3 Fait intéressant, il est bien établi qu’une proportion significative de personnes ayant souffert d’un premier épisode psychotique (PEP) présentent encore une déficience fonctionnelle même après une rémission des symptômes de psychose aiguë. Cela indique que les symptômes négatifs, en particulier l’amotivation, pourraient être une cible thérapeutique essentielle pour favoriser la récupération fonctionnelle rapide après un premier épisode de psychose.

 

Comment peut-on les traiter ?

Bien que les symptômes négatifs ne réagissent pas bien au traitement médicamenteux, la détection précoce et une intervention intensive spécifique en fonction des phases de PEP peuvent grandement réduire la gravité des symptômes négatifs. Des études récentes ont révélé que la diminution du délai de traitement au moment d’un épisode psychotique initial (c’est-à-dire la réduction de la durée de psychose non traitée) s’accompagne d’une intensité plus faible de symptômes négatifs au début du traitement et d’une meilleure résolution de ceux-ci lors des suivis.

Les services d’intervention précoce intégrés sont efficaces pour améliorer les symptômes négatifs chez les personnes ayant présenté un PEP. Un nombre croissant de données suggèrent que des interventions psychosociales spécifiques telles que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), la remédiation cognitive et l’entrainement des compétences sociales peuvent réduire efficacement les symptômes négatifs.4 En particulier, il a été récemment prouvé qu’une TCC qui vise spécifiquement à rectifier les attitudes négatives, y compris les comportements défaitistes et le manque de confiance en l’efficacité personnelle, permet d’améliorer considérablement l’amotivation et l’évolution fonctionnelle chez les personnes atteintes de troubles psychotiques.

Étant donné que les symptômes négatifs constituent un obstacle majeur au rétablissement fonctionnel lors de la phase précoce de la maladie, il est essentiel d’intégrer une évaluation régulière et complète des symptômes négatifs dans le cadre de l’intervention précoce. Cela facilitera l’évaluation et l’amélioration de l’évolution fonctionnelle chez les personnes qui subissent un premier épisode. Plus précisément, pour mesurer avec précision la nature et la gravité des symptômes, il est recommandé d’utiliser des échelles d’évaluation des symptômes négatifs de deuxième génération (telles que la Brief Negative Symptom Scale, BNSS ou la Clinical Assessment Interview for Negative Symptoms (CAINS)), qui ont été développées sur la base des conceptualisations actuelles des symptômes négatifs et qui couvrent les cinq domaines reconnus. Cette approche facilitera l’identification précoce des symptômes et l’organisation d’interventions rapides et ciblées visant à empêcher la progression vers des symptômes négatifs persistants et une détérioration ultérieure du fonctionnement.5

Une évaluation minutieuse doit également être menée pour différencier les symptômes négatifs primaires et secondaires, car ces derniers peuvent être traités par une gestion précise de la cause sous-jacente. 2,5 Par exemple, l’introduction d’un traitement antidépresseur en cas de dépression ou la diminution de posologies des antipsychotiques en cas d’effets secondaires moteurs.

L’optimisation du traitement des symptômes négatifs est essentielle pour parvenir à un rétablissement fonctionnel chez les patients atteints de psychose débutante. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour clarifier la façon dont les services d’intervention précoce devraient être modifiés ou quels éléments d’un traitement devraient être renforcés de manière à ce que les effets bénéfiques d’un traitement conduit dans un  programme spécialisé pour psychose débutante se maintienne quand les patients le quittent.

 

 

Le Dr Wing-Chung CHANG est psychiatre (FRCPsych, FHKCPsych), professeur agrégé de clinique au Département de psychiatrie et chercheur principal du Laboratoire des sciences cérébrales et cognitives de State Key, à l’Université de Hong Kong (HKU). Il travaille dans le service d’intervention précoce pour la psychose, le programme EASY, depuis 15 ans. Ses thèmes de recherche comprennent l’intervention précoce et l’évolution des premiers épisodes psychotiques, les symptômes négatifs et l’amotivation, l’état mental à risque et la prédiction de la psychose, et enfin la santé physique dans les maladies mentales graves. Il a publié 145 articles dans des revues internationales à comité de lecture et 4 chapitres d’ouvrages. Il a reçu plusieurs prix de recherche, notamment le prix du jeune chercheur de l’International Early Psychosis Association et le prix du jeune chercheur NARSAD de la Brain & Behavior Research Foundation.

 

 

Glossaire :
Apathie : une réduction de l’initiation et du maintien de toute activité ayant un objectif en raison d’une diminution de la motivation

Asocialité : diminution des interactions sociales en raison d’une baisse de l’intérêt et de la motivation pour nouer et entretenir des relations avec les autres

Anhédonie : diminution de la capacité à ressentir un plaisir

Émoussement affectif : diminution de l’expression émotionnelle non verbale et des réactions affectives, se manifestant par une réduction de l’expression faciale, de l’intonation vocale et des gestes expressifs.

Alogie : appauvrissement du discours et de l’élaboration logique de son contenu

Effets moteurs : raideur et tremblements, agitation inconfortable, mouvements de la mâchoire, de la langue ou de la bouche

 

 

Références

1.     Galderisi S, Mucci A, Buchanan RW, Arango C. Negative symptoms of schizophrenia: new developments and unanswered questions. Lancet Psychiatry 2018; 5:664-677.

2.     Kirschner M, Aleman A, Kaiser S. Secondary negative symptoms: a review of mechanisms, assessment and treatment. Schizophrenia Research 2017; 186:29-38.

3.     Chang WC, Wong CSM, Or PCF, et al. Inter-relationships among psychopathology, premorbid adjustment, cognition and psychosocial functioning in first-episode psychosis: a network analysis approach. Psychological Medicine 2020; 50:2019-2027

4.     Lutgens D, Gariepy G, Malla A. Psychological and psychosocial interventions for negative symptoms in psychosis: systematic review and meta-analysis. British Journal of Psychiatry 2017; 210:324-332.

5.     Correll CU, Schooler NR. Negative symptoms in schizophrenia: a review and clinical guide for recognition, assessment, and treatment.
Neuropsychiatric Disease and Treatment 2020; 16:519-534.

 

Declaration of Interests: Aucun

Remerciements:

Ce projet a été rendu possible grâce au parrainage de H. Lundbeck A/S. Les opinions exprimées dans ces documents ne reflètent pas nécessairement celles de H.Lundbeck.